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La notion de danger grave et imminent (DGI) constitue un levier essentiel du droit du travail en matière de santé et de sécurité. Elle permet aux salariés, comme aux représentants du personnel, de réagir face à des situations menaçantes pour la vie ou la santé. Pourtant, cette notion est encore mal connue ou mal utilisée, parfois par crainte, parfois par méconnaissance. Il est donc fondamental d’en rappeler le cadre juridique, les conditions d’utilisation, et les moyens d’action à disposition des représentants du personnel, notamment le recours à un expert habilité.
Le Code du travail, à l’article L.4131-1, prévoit que tout travailleur peut alerter immédiatement son employeur s’il a un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Ce même article lui reconnaît également le droit de se retirer de cette situation, sans devoir attendre un accord de la hiérarchie. Cette disposition s’inscrit dans une obligation plus générale pesant sur l’employeur : celle de garantir la santé physique et mentale des salariés, comme le stipule l’article L.4121-1.
Le danger grave et imminent suppose la réunion de trois éléments. D’abord, un danger, c’est-à-dire un risque réel identifié pour la santé ou la vie du salarié. Ensuite, ce danger doit être grave : la menace est sérieuse, susceptible d’engendrer des atteintes significatives à l’intégrité physique ou psychologique. Enfin, le risque doit être imminent, autrement dit susceptible de se matérialiser à tout instant. Contrairement à certaines idées reçues, il n’est pas nécessaire qu’un accident se soit déjà produit : la perception raisonnable d’un risque suffit à activer les droits du salarié ou du représentant du personnel.
De nombreuses situations peuvent relever d’un danger grave et imminent. On peut citer, par exemple, le cas d’un travail en hauteur sans protection collective ni harnais de sécurité, ou encore la manipulation de produits chimiques non étiquetés, stockés de manière anarchique, avec un risque immédiat d’inhalation toxique. Les situations de violence, qu’elles soient physiques ou verbales, exercées par un usager, un tiers ou même un collègue, peuvent également être qualifiées de DGI, dès lors qu’elles suscitent une peur fondée pour l’intégrité de la personne exposée. Dans un autre registre, certaines situations de surcharge de travail ou d’épuisement professionnel avéré peuvent aussi constituer un DGI, notamment lorsqu’un salarié montre des signes inquiétants de détresse psychique ou somatique.
La jurisprudence vient régulièrement préciser les contours de cette notion. La Cour de cassation a par exemple validé, dans un arrêt du 25 mars 2009, le droit de retrait exercé par un salarié travaillant seul la nuit dans une station-service, du fait d’un risque d’agression. D’autres décisions ont reconnu l’existence d’un DGI face à des violences subies par des salariés, ou encore dans des situations de sous-effectifs critiques, notamment à l’hôpital. Les tribunaux rappellent cependant que l’exercice du droit de retrait n’est pas libre, mais doit reposer sur un motif objectivement raisonnable. En cas d’abus manifeste, des sanctions sont possibles, bien que rares dans la pratique.
Lorsque le danger est signalé au Comité Social et Économique (CSE), celui-ci peut activer la procédure d’alerte prévue par le Code du travail. La déclaration est alors consignée dans un registre spécifique, appelé « registre des dangers graves et imminents », qui doit être mis à disposition de tous les représentants du personnel et tenu à jour. L’employeur est immédiatement informé, et une réunion doit avoir lieu sans délai afin d’analyser la situation. Si le désaccord persiste entre le CSE et l’employeur sur la réalité du danger, le CSE peut décider de recourir à un expert habilité.
Faire appel à un expert habilité dans le cadre d’un DGI présente plusieurs avantages. D’abord, cela permet d’objectiver la situation, en s’appuyant sur une analyse technique ou organisationnelle rigoureuse. L’expert apporte également une légitimité externe, qui peut rassurer les salariés comme les dirigeants, tout en évitant des conflits mal gérés. Il est également en mesure de proposer rapidement des mesures correctives et préventives, adaptées à la réalité du terrain. Ce recours est particulièrement pertinent dans les situations complexes ou lorsqu’un risque psychosocial est en cause, car les signes sont souvent diffus et difficiles à caractériser sans expertise.
Prenons l’exemple d’une entreprise de transport où les conducteurs faisaient l’objet d’agressions répétées, sans réaction suffisante de la direction. Le CSE a alors déclenché une procédure de DGI, et l’intervention d’un expert habilité a permis de démontrer un défaut structurel de prévention. Des mesures concrètes ont été proposées et mises en œuvre rapidement : réorganisation des tournées, mise en place de dispositifs d’alerte, accompagnement psychologique des équipes. Cette action concertée a permis de rétablir un climat plus serein, tout en limitant les responsabilités juridiques de l’employeur.
La procédure de DGI doit être maniée avec sérieux, mais elle ne doit pas être redoutée. Elle offre une réponse rapide face à une situation dangereuse, et elle constitue souvent un signal d’alarme salutaire pour réinterroger l’organisation du travail. Pour les élus du personnel, elle représente aussi un levier de dialogue social fort, à condition d’être bien utilisée et bien accompagnée.
En conclusion, la notion de danger grave et imminent est un outil précieux pour protéger les salariés et améliorer les conditions de travail. Elle doit être connue, maîtrisée, et utilisée avec discernement. Lorsqu’elle est enclenchée, le recours à un expert habilité n’est pas seulement une formalité : c’est un moyen stratégique de sécuriser la procédure, de renforcer la légitimité du CSE, et surtout, d’agir efficacement pour préserver la santé physique et mentale de toutes et tous.
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